Ambrotype

- Histoire et fabrication -

A notre époque, à l'ère du capteur numérique délivrant quantité d'images parfaites sur le plan technique en un "clic de doigt", quelques irréductibles et néanmoins passionnés de manipulation de papier et de chimie pérsistent à pratiquer le laboratoire photographique argentique, à tremper leurs petits doigts dans les bains acides et odorants. Etant moi-même un adepte de la chambre noire, les yeux meurtrit par le rouge de l'éclairage de sureté, je puis affirmer aujourd'hui que nos produits de laboratoire modernes sont d'une facilité de manipulation déconcertante à coté des procedés anciens et en particulier de prise de vue.

Les origines de la Photographie ont vu défiler de multiples moyens de fixer l'image du monde qui nous entoure sur différents supports. Nous savons que le Daguerreotype fut le premier procédé photographique commercial du monde et qu'il a vu le jour en 1835 entre les mains d'un artiste peintre que les savant de l'époque ayant connaissance de ses recherches, qualifiaient d'illuminé ! Sans entrer ici dans le détail du Daguerreotype, ce procedé offrait de nombreux inconvénients dont le coût elevé et la complexité de mise en oeuvre étaient les principaux. Un dénommé Frédérick Scott Archer (1813-1857), quelques années plus tard, va révolutionner la Photographie en utilisant ce que nous appelons le collodion. Pour rester dans une explication simple, ce produit se présente sous la forme d'un verni sirupeux obtenu par dilution d'un explosif puissant appelé le coton-poudre, dans un mélange d'ether et d'alcool. Ce verni, liquide au départ, se fige en quelques secondes et devient alors un milieu idéal pour recevoir des cristaux sensibles à la lumière, pouvant être traité ensuite pour fournir une image négative claire, base d'un futur tirage positif. C'est l'ancêtre le plus lointain mais le plus proche de nos émulsions modernes. En 1854, James Ambrose Cutting (1814-1867) va utiliser ce collodion photographique et le traiter d'une façon telle que le négatif verre posé sur une surface sombre fournira un positif directement, sans tirage. De la famille du Ferrotype (que je traiterai plus tard), l'Ambrotype va permettre l'éxecution de portraits en quelques minutes seulement entre le moment où le client entre dans la boutique du photographe et le moment où il resortira avec sa photographie. Pour ceux qui ont déjà vu un autentique Ambrotype, il se présente souvent dans un joli coffret de cuir ou de métal.

Je vous propose ici le principe de fabrication "simple" de l'Ambrotype. Je dis "simple", mais les procedés au collodion sont les plus difficiles à aprivoiser de tous les procédés photographiques, loin devant le gélatino-bromure.

Seule l'abondante pratique apporte la réussite.

Le collodion, son exposition et sont traitement obéissent à la règle du "coup de patte" et du feeling que seule une démonstration réèlle saurait retranscrire.


A gauche, l'inventaire de tout ce qui m'est utile à l'élaboration de l'Ambrotype. Ce sont éxactement les mêmes composants que ceux utilisés dans les procedés au collodion humide et Ferrotype. En voici la liste :
- Collodion officinal
- Ether
- Alcool à 90°
- Iodure de potassium
- Bromure de potassium
- Nitrate d'argent
- Acide nitrique
- Sulfate de fer
- Hyposulfite de soude
Ajoutons également à ceci quelques assiètes, cuillères et récipients en plastiques ainsi que des plaques de verres de format différents (ici 9x12cm), une balance de précision, un flacon en verre, une pipette et éprouvette graduées. Bien entendu, vous avez à votre disposition une chambre de prise de vue pouvant recevoir les plaques sensibles, et un laboratoire ventilé ou à défaut, une pièce ou le noir total peut-être obtenu, mais ventilée car les vapeur d'ether sont assez ennivrantes !
les quantités données ici sont prévues pour une dizaine de plaques 9x12cm. Dans notre flacon de verre, nous allons d'abord peser les sels necessaires à l'obtention des cristaux sensibles à la lumière. Dans le cas présent, j'utilise 0.25g d'Iodure de potassium en quantité majeure et 0.1g de bromure de potassium pour augmenter la rapidité des plaques. Sur ces sels de potassium, je dépose quelques gouttes d'eau pour la dissolution.
NOTE : Vous pouvez utiliser des sels d'ammonium qui eux, sont solubles dans l'acool donc directement dans le collodion.
Ici les sels de potassium sont solubles uniquement dans l'eau mais celle-ci doit se trouver en quantité minimum car le collodion fournirait de mauvais résultats (bien que les livres anciens en préconise pour augmenter encore la rapidité des plaques, apres avoir essayé, j'ai obtenu une couche de collodion pleines de petites failles.)
Je reserve mon flacon à proximité. Dans une éprouvette graduée, je mesure 20ml d'alcool à 90° que je complète par 5ml d'ether. En temps normal les quantités doivent être équivalentes c'est à dire 50% alcool et 50% ether, mais lorsque les premières chaleurs de l'été se font sentir, il est bon d'augmenter la proportion d'alcool afin de preserver la couche de collodion de notre future plaque d'un séchage trop rapide.
Je verse rapidement le mélange alcool/ether dans le flacon qui contient les sels de potassium dissous, afin de ne pas favoriser une évaporation de l'ether. La teinte du mélange résultant passe de la transparence à une couleur jaunâtre.
Rapidement, j'ajoute 25 ml de collodion officinal au mélange précédent.
Note : Arrêtons nous un instant afin de mieux comprendre ce que nous faisons. Bien que le "collodion normal" soit tout à fait fabriquable, ceci reste néanmoins dangereux car il y a manipulation d'acides fumants (nitrique et sulfurique) afin d'obtenir la matière première du collodion : le coton-poudre, qui est un éxplosif ultra-puissant. Aussi, je me procure directement du "Collodion officinal" en pharmacie. Celui-ci est de tres bonne qualité est d'un prix relativement peu elevé. Ce collodion du commerce, très épais, renferme entre 4 et 5% de coton-poudre. Notre collodion photographique, quant à lui, doit en contenir seulement 2 à 3%, c'est pourquoi nous l'avons dilué plus haut avec un mélange d'alcool et d'ether.
Après avoir rapidement refermé le flacon, je le secoue fermement afin de bien homogénéiser le mélange. Le changement de teinte se poursuit, il passe au jaune paille.
Le collodion photographique est à présent prêt à l'emploi. Dans notre flacon (de gauche sur la photo), nous avons donc :
-20ml d'alcool
-5ml d'ether
-25ml de collodion officinal
- 0.25g d'Iodure de potassium
- 0.10g de bromure de potassium
- quleques gouttes d'eau.
Celui-ci peut se conserver longtemps. La teinte sera jaune orangé mais si jamais la teinte vire vraiment au rouge, il faut alors jeter le collodion car l'iodure s'est décomposé.
Bain sensibilisateur :

J'abandonne mon collodion quelques minutes afin de préparer à présent les diverses solutions qui me seront nécessaires au traitement de mon futur Ambrotype.
En effet lorsque j'aurai étendu le collodion ioduré sur la plaque de verre, je devrai le sensibiliser dans un bain de Nitrate d'Argent acide que je prépare ainsi :
- 100 ml d'eau distillée
- 12 gr de Nitrate d'Argent
- 10 gouttes d'Acide Nitrique

(Je ne saurais trop vous recommander le port de gants lors de la manipulation des acides et du Nitrate d'Argent...)

Aucune difficulté particulière n'est à signaler dans la préparation du bain sensibilisateur mise à part l'utilisation impérative d'une eau distillée ou déminéralisée afin d'éviter la précipitation du Nitrate d'Argent.
Révélateur :

Ici je prépare à présent un révélateur au Sulfate de Fer.
Pourquoi ce composé précisement ? Et bien parce qu'il fournira un négatif très brillant, d'un gris métalisé, presque blanc.
En effet, un négatif traité avec un révélateur courant fourni un négatif noir, on parle entre autre de développement chimique. Avec un révélateur au Sulfate de Fer, on parle de développement physique, il y'a échange de matière.
Dans 100 ml d'eau distillée, j'ajoute 3 grammes de Sulfate de Fer (On le trouve à prix réduit dans les magasins de jardinage. En ce qui me concerne, un éxploitant agricole voisin m'en a offert un sac de 25 Kg, j'ai de quoi faire...)
A cette solution, j'ajoute 5 ml d'alcool à 90°, puis 8 gouttes d'acide Nitrique. Je mélange bien le tout et je filtre la solution à travers un coton.

Précisions :
L'alcool à pour but de "mouiller" le collodion lors de la révélation. Sans cet alcool, le révélateur perlerait comme de l'eau sur de l'huile et fournirait donc un négatif très irrégulier. L'Acide Nitrique, quant à lui, détermine le temps d'apparition de l'image. Avec beaucoup d'Acide, l'image apparaitra au bout de plusieurs dizaines de secondes, alors qu'avec peu d'Acide, l'image monte en quelques secondes. Ici, les 8 gouttes font apparaitre l'image en 5 à 10 secondes. Il est enfin capital de filtrer le révélateur car les particule de Sulfate de Fer non sollubles fourniraient des taches sur l'image.
Passons à l'action !

Je réunis tout ce dont j'ai besoin pour préparer la plaque et la traiter ensuite sans laisser place à l'improvisation car le collodion n'attend pas.
Mes plaques de verres sont pretes, le flacon de collodion est à ma portée. Je prépare mon bain sensibilisateur dans une coupelle en plastique, ainsi qu'une dose de révélateur , soit 7 ml dans une éprouvette.
Mon chassis est pret, au studio, la chambre est calée sur le sujet.
Coulage du Collodion :

La réussite du coulage du collodion sur la plaque en une couche uniforme demande une certaine habitude (et encore, il est toujours possible de rater une plaque de temps en temps, même avec cette précieuse habitude). Le liquide sirupeux doit en effet s'étendre rapidement et éfficacement sur la plaque car il fait prise en une vingtaine de secondes. Cliquez ci-contre sur le bouton "Lire la vidéo" afin d'observer la méthode historique de "collodionnage".
Dans vos premiers essais, il ne sera pas rare de faire couler le collodion partout entre vos doigts, c'est pourquoi je vous recommande de porter des vêtements sans valeur, et de protèger la surface sur laquelle vous allez travailler. Une bouteille d'acétone sera également à portée de main pour faire disparaitre les tâches de collodion laissées un peu partout...
Il faut, par un geste précis, étendre le collodion sans qu'il ne déborde de la plaque et sans qu'il n'entre en contacte avec vos doigts qui tiennent la plaque par le coin inférieur. Avec l'habitude, vous apprendrez à ne couler que la quantité necessaire afin d'éviter tout débordement stressant et rageant...
Le collodion doit présenter, sous éclairage rasant, une surface légerement mate et très faiblement granuleuse lorsqu'il a fait prise. L'Ether, en s'évaporant, fait clairement baisser la température du collodion et donc de la plaque. A cet instant, j'essuie l'eau de condensation qui s'est déposée sur la face dorsale.

Veillez à ne pas trop réchauffer le verre avec la chaleur de vos doigts sous peine d'accélération partielle et localisée du séchage du collodion, ce qui entrainerait des irrégularité à la phase du traitement de l'image.
Sous éclairage de sureté rouge ! (la lumière indirecte et assez éloignée d'une bougie peut suffire.) Rapidement, j'immerge ma plaque face collodionnée au dessus, dans le bain sensibilisateur au Nitrate d'Argent.
Je la laisse se sensibiliser ainsi durant 3 minutes en agitant le bain de temps en temps.

Chimie Photographique :
Lors de l'immersion, le nitrate d'Argent va "s'associer" avec l'iodure pour former un iodure d'Argent, cristal très sensible à la lumière. Suivant le temps de sensibilisation, votre plaque sera plus ou moins rapide et fournira un négatif plus ou moins contrasté, c'est une affaire d'essais. Ce bain sensibilisateur pourra reservir plusieurs fois et pourra même être entretenu en rajoutant du nitrate d'Argent. Vous devrez le laisser à l'air libre en le protégeant simplement des poussières par un papier absorbant, afin que l'alcool accumulé s'évapore.
Après 3 minutes de sensibilisation, je retire la plaque du bain, à l'aide de ma baguette en plastique.
(Essayez de porter des gants, pas comme moi qui ai les doigts tachés pendant une semaine ensuite...)
Voyer la teinte jaune opale que le collodion a prit. Ici, même chose, suivant l'âge de votre collodion, la teinte et la transparence de la plaque pourront varier et ceci agira sur la rapidité et le contraste. Lorsque la plaque est sensibilisée, on peut mieux discerner les irrégularité de coulage du collodion (si il y'en a bien sûr).
Je laisse la plaque s'égoutter durant quelques secondes et je la place dans mon chassis.

Il ne faut surtout pas rincer la plaque à l'eau avant de l'inserer dans le chassis car l'excès de nitrate d'Argent encore présent dans la couche de collodion sera capitale à l'action du révélateur.

Rappel : il s'est écoulé déjà près de 4 minutes depuis le coulage du collodion).
Rapidement je me dirige au studio et place mon chassis sur la chambre. Je donne la pose "au bouchon", dans le cas présent, 12 secondes à F16.

Il est difficile de vous donner des temps de pose précis car la rapidité dépend de plusieurs paramètres comme ceux évoqués ci-dessus auxquels s'ajoutent le tirage du soufflet, la température de couleur de l'éclairage, le sujet lui-même, etc. Cependant, la règle de l'Ambrotype est : Sous-éxpositions !

Il n'y a pas de secret, il faut faire des essais.
Sans attendre, je retourne au laboratoire sous éclairage de sureté rouge.
Au dessus d'une coupelle, je tiens la plaque bien à plat par le coin inférieur non-collodionné, et je m'empare de mes 7ml de révélateur.
Précision :
Il va falloir, d'un geste habile, napper très rapidement la plaque de votre révélateur sans un seul point de chute pérmanent sous peine de tache très blanche. C'est un petit coup de main à attraper également, et il se pourra que les extrêmes bords de vos plaques présentent des petits manques (comme dans cet exemple). L'image est définitive en 5 à 10 secondes.
Chimie Photographique :
Pourquoi alors ne pas immerger totalement la plaque dans un bain de révélateur ? En fait, pour faire simple, il s'agit ici comme je l'ai dit, d'un développement physique de l'image. C'est à dire que le sulfate de fer va décomposer le nitrate d'Argent contenu en excès dans la couche de collodion aux endroits impressionnés par la lumière. Dans le développement de l'Ambrotype, une quantité précise de sulfate de fer doit agir sur le nitrate d'Argent. Si la plaque étaient immergée dans un grand bain, le nitrate d'Argent serait réduit d'un coup et fournirait une image très mauvaise.
Je rince rapidement la plaque sous l'eau froide et la plonge à présent dans un bain de fixateur courant (du commerce), à base de Thyosulfate d'ammonium.

En une ou deux minutes, la couleur laiteuse disparait totalement dans le fixateur. Il ne me reste plus qu'à rincer et laver la plaque dans l'eau froide pendant quelques minutes encore. Si jamais cette couleur laiteuse ne disparaissait pas dans le fixateur, ceci voudrait dire que le collodion à eu le temps de secher, il faudra alors revoir votre rapidité d'éxecution... :-)
Voici à présent le résultat (ci-dessous):

A gauche sur fond blanc, il s'agit bien d'un négatif. Notez bien la faible densité des noirs, ceci est dû à la sous-éxposition.
A droite, sur fond noir, le négatif devient positif comme par magie ! Le métal qui forme à l'origine l'image négative est en fait, par le traitement qu'il a reçu, capable de renvoyer toute la lumière qu'il reçoit, à l'inverse d'un négatif courant traité avec un révélateur moderne. Sous n'importe quel angle, à l'inverse du Daguerreotype, l'Ambrotype offrira son image positive d'une manière parfaite. Dans cet éxemple, l'image est encore légèrement sur-éxposée...