Papier Albuminé

- Histoire et Fabrication -

Depuis près de deux mille ans, les hommes n'ont rien trouvé de mieux, de plus pratique et économique que le support papier pour conserver et faire circuler des informations à travers le temps et l'espace. Le papier est une invention formidable et très ancienne. Aujourd'hui encore, à l'époque des supports informatiques, le papier tient la première place en haut des marches du podium en matière de support d'information. La fibre de cellulose qui constitue le papier est l'une des matières primitives les plus abondantes que l'on trouve à la surface de la Terre, et il est assez curieux de constater sa place si importante dans notre vie de tous les jours, au milieu d'ordinateurs, de satellites et de téléphones portables.
Dans ses premières heures, la Photographie s'est tout naturellement orientée vers le support papier pour se matérialiser... Après tout, une photographie n'est rien d'autre qu'une information, au même titre que n'importe quelle phrase écrite. Dans un premier temps, nos ancêtres photographes enduisaient une feuille de papier de sel de cuisine et de nitrate d'argent afin de former un chlorure d'argent sensible qui noircissait sous l'action des rayons de la lumière du jour. Ce papier de tirage primitif se nommait simplement "Papier salé". L'inconvénient de ce papier photographique des temps reculés, était d'offrir une image diffuse et qui manquait un peu de contraste. Ceci était dû au simple fait que le chlorure d'argent imbibait les fibres du papier en profondeur. Ainsi l'image se diffusait à l'intérieur même de ce papier. Pour remedier à ce petit problème, les chimistes photographes vont avoir l'idée d'emprisonner ce chlorure d'argent sensible à l'intérieur d'une couche d'albumine transparente, couchée sur la surface du papier puis sèchée. L'image photographique allait donc gagner en finesse, en contraste et en densité. Nous pourions presque parler ici d'une émulsion. L'albumine est une protéine présente à 75% dans le blanc d'un oeuf de poule. Cette substance est un milieu idéal pour encoller le papier et recevoir les sels sensibles à la lumière qui formeront l'image photographique. Dès 1847, Abel Niepce de Saint Victor, neveux de Nicéphore Niepce, indiquait l'utilisation de l'albumine du blanc d'oeuf en Photographie. Vers 1850, Blanquart Evrard produisait industriellement le papier albuminé. Jusque dans les toutes dernières années du XlXème siècle, le papier albuminé était très prisé des photographes car il présente l'aspect d'un papier bromure tout en conservant la simplicité du tirage par noircissement direct.
La fabrication du papier albuminé aujourd'hui, offre les merveilleux avantages de choisir le grain et la tonalité de son papier, et de se sentir l'entier créateur d'une image issue d'un procedé photographique historique.

Voici les étapes de l'élaboration du Papier Albuminé :


Comme de coutume, je commence par faire l'inventaire de ce qu'il va m'être necessaire pour la fabrication. Pour le Papier Albuminé, peu de choses sont requises. Il nous faut :
- Sel marin (d'une manière générale, 3 à 5% du poids de blanc d'oeuf) ici 10g.
- Blanc d'oeuf 225g.
- Nitrate d'Argent 12g.
- Bicarbonate de soude 1g.
- Hyposulfite de soude 150g.
- Eau déminérailée.
Ajoutons à ceci plusieurs cuvettes de taille supérieure au format de la photographie, quelques récipients de tailles différentes ainsi qu'un batteur éléctrique.

Je commence par casser des oeufs, puis je sépare le blanc du jaune en faisant TRES attention à ne pas mélanger une infime partie de jaune au blanc.
Un oeuf moyen donne un blanc d'à peu près 35 grammes. J'en casse donc six ou sept pour me donner environ 225 grammes de blanc.
Les anciens ouvrages sur la photographie conseillent d'utiliser des oeufs de poules agées car l'albumine serait plus tenace...

Si vous ne possèdez pas une poule de 4 ou 5 ans spécialement elevée dans la salle de bain de votre appartement pour vous donner une albumine idéale, vous pouvez vous contenter des oeufs extra-frais du supermarché... ;-)

Penchons nous un peu au dessus de nos blancs... Nous pouvons y voir que tout un tas d'éléments étranges y flottent... Un oeuf n'est pas constitué uniquement de blanc et de jaune, mais aussi de différentes parties pour que tout ceci se tienne bien à l'intérieur de la coquille. Ne cherchez pas à enlever ceci avec une cuillère ou tout autre outils, vous n'y parviendriez pas. Lors de la décantation, ces éléments parasites seront maintenus dans la mousse de surface (vous comprendrez mieux tout à l'heure.)

Je prépare maintenant la solution salée qui sera ajoutée aux blancs. Pour celà, je pèse 10 grammes de sel marin que je dissous dans 25 grammes d'eau déminéralisée.

Après dissolution du sel marin, je verse le tout sur les blancs.

Précision :

J'ai pris l'habitude d'incorporer un minimum d'eau à l'albumine afin de conserver vraiment l'aspect brillant du papier albuminé après séchage. Cependant, certains ouvrages peuvent en indiquer davantage, jusquà un tiers du poids total de la solution finale d'albumine salée. C'est au goût de chacun...

lorsque la solution salée à été incorporée aux blancs, à l'aide d'un batteur éléctrique je fais monter le tout en neige.

Prévoyez un récipient assez grand car les blancs décuplent de volume ! Ce serait dommage de se laisser surprendre...

Je monte les blancs en neige TRES ferme afin de faciliter la décantation ultérieure.

Ceci fait, j'abandonne mon récipient au réfrigérateur pendant 24 heures...

Après ces 24 heures de repos, nous pouvons constater qu'un liquide clair s'est redéposé au fond du récipient. Ceci est tout simplement l'albumine photographique prete à être receuillie... Dans la mousse de surface, se trouvent tous les éléments superflus du blanc d'oeuf que nous avons observé précedement.

Je verse lentement l'albumine dans une coupelle en plastique. La mousse de surface reste en un seul bloc, il est donc inutilie d'utiliser un petit tamis ou autre ustensile. A première vue, l'albumine est très fluide et parfaitement claire.

En s'approchant un peu, nous pouvons constater que l'albumine photographique est tout à fait propre et limpide.

Je vais passer à présent à "l'albuminage" du papier. Pour celà, je vais faire flotter directement la feuille de papier sur l'albumine.

Dans une large cuvette plate, je verse très lentement l'albumine afin de ne pas produire de petites bulles d'air. Je me positionne donc très près du fond de la cuvette.

Je saisi à présent ma feuille de papier par les deux coins opposés l'un à l'autre (que j'ai corné au préalable) et je la dépose doucement sur la surface de l'albumine en bombant le centre de la feuille.


Après 4 à 5 minutes de flottaison, je retire la feuille albuminée de la cuvette, et je la laisse secher tranquillement, étendue sur un fil.

Comme mon albumine est assez pauvre en eau, la feuille albuminée présente une surface glacée très agréable à regarder...

Dailleurs, après séchage, voici l'aspect brillant de la feuille non sensibilisée...

Au delà de cette brillance, le toucher est formidable (bien que je recommande de ne pas toucher cette surface car nos doigts déposent des substances grasses qui pourraient laisser des taches...)

Je procède à présent à la sensibilisation du papier albuminé... J'ai préparé un bain sensibilisateur composé de 100ml d'eau déminéralisée et de 12 grammes de Nitrate d'Argent. Si votre bain sensibilisateur est destiné à être conservé, vous devez proceder comme suit :
Dans un récipient, dissoudre 12 grammes de nitrate d'Argent dans 50ml d'eau démineralisée. Dans un second récipient contenant également 50 ml d'eau démineralisée, dissoudre 1 gramme de bicarbonate de soude. Mélangez ensuite les deux solution. Un important précipité de carbonate d'Argent
va tomber au fond du récipient. Il ne faut pas l'éliminer car c'est lui qui va conserver la solution sensibilisatrice que l'albumine tend à décomposer.
En lumière éléctrique faible Je dépose donc la feuille face albuminée sèche sur la surface du bain sensibilisateur, en veillant à ne pas produire de petites bulles d'air.

Chimie Photographique :
A l'instant où l'abumine salée entre en contact avec le bain sensibilisateur, le sel marin va se "combiner" avec le nitrate d'argent pour former un chlorure d'argent très sensible à la lumière. Contrairement au papier salé où toute l'épaisseur de la feuille devient sensible, ici pour le papier albuminé, seule la couche d'albumine en surface de la feuille va devenir sensible. Ainsi l'image n'en sera que plus précise. Le temps de sensibilisation peut varier. Ici je sensibilise pendant une minute.
Précision :
la proportion de sel contenue dans l'albumine est déterminante dans la profondeur de l'image finale. Une forte proportion de sel donner un papier très sensible mais une image peu dense. A l'inverse, une faible proportion de sel offrira un papier lent mais une image très dense. Dans mon cas je me situe vers une image legère. Je trouve que l'aspect "délavé" donne une atmosphère très particulière aux images, à l'inverse des papiers modernes qui donnent des noirs très profonds. Le temps d'éxposition va également jouer sur le résultat.

Suivant l'épaisseur du papier que vous aurez choisi, il faudra plus ou moins maintenir la planéité de la feuille qui aura tendance à vouloir s'enrouler sur la surface des bains. Ceci est d'autant plus valable pour les papiers de faible grammage.

Après la sensibilisation, il suffit de laisser sècher la feuille sensible à l'abris de la lumière. Rien ne s'oppose à l'utilisation du sèche-cheveux pour activer la déssication. Sachez toutefois que le papier albuminé sensibilisé ne se conserve que très peu de temps. Après 24 heures, celui-ci présentera déjà un voile jaunâtre désagréable que rien n'éliminera...


Le négatif à tirer est une plaque au gélatino-bromure ordinaire de format 18x24 cm fabriquée artisanalement et traitée pour le tirage au papier albuminé. Aurore, que je remercie, a bien voulu poser immobile durant 2 secondes sous une source d'éclairage artificielle de 1500W.


Précision :
Le papier albuminé éxige un négatif qui présente beaucoup plus de contraste et de densité qu'un négatif "normal" de tirage. Evidement, peu de gens s'amusent à refabriquer les anciennes plaques sensibles comme je le fais. C'est pourquoi vous pouvez trouver dans le commerce des boites de films orthochromatiques en feuille. Ce sont des plans-films à support transparent de polyesther recouverts d'une émulsion noir et blanc que vous pouvez manipuler sous éclairage de sureté rouge. Vous pourrez ainsi tirer un contretype de votre négatif de petit format et tirer cette copie (positive) à l'agrandisseur sur une feuille ortho. Vous aurez ainsi un négatif grand format idéal pour le tirage au papier salé. Les manipulation sont plus nombreuses mais il faut passer par là si l'on ne pratique pas la prise de vue grand format. Il est possible aussi de se contenter d'un grand négatif obtenu sur une feuille de papier photo de type RC fin, mais l'éxposition devra être prolongée car les U.V. devront bien-sûr traverser la couche de papier plastifié avant d'atteindre la feuille de tirage.
Aujourd'hui, je vais effectuer le tirage à l'exterieur, sous la lumière du jour. Pour celà, je vais utiliser un outils très ancien appelé le Chassis-presse. Les premiers photographes dès 1839 utilisaient déjà ces appareils pour le tirage des négatifs. Le principe est très simple. Le négatif est placé à l'intérieur du chassis, face émulsion vers moi.

La feuille de papier albuminé est ensuite mise en contact avec le négatif, émulsion contre face sensible du papier.
Enfin, un panneau scindé en deux parties est fermement pressé contre le sandwish négatif/papier sensible, grâce à deux bras verrouillés, munis de lames-ressort.

Je couvre maintenant le chassis côté vitré, d'un cache dans lequel une ouverture ovale fut découpée. Ainsi, la lumière va venir faire noircir les zones du papier non protegées par le noir du négatif et inversement dans la limite de l'ouverture ovale. Nul besoin de révélateur, l'excès de nitrate d'Argent contenu dans la couche d'albumine va fournir la "matière" necessaire au noircissement du papier directement sous l'action des rayons lumineux. Magique, non ?
Suivant l'intensité de la lumière, le temps d'exposition peut enormement varier, de 3 minutes à plusieurs heures si le soleil est capricieux. Cette opération peut s'effectuer en 4 ou 5 minutes sur un banc U.V.. Ici quelques nuages viennent perturber l'action du soleil, il m'est de ce fait difficile d'évaluer un temps de pose correct... Je vais donc contrôler la venue de l'image en ouvrant une partie du chassis, dans la pénombre. Je constate que l'image est encore faible. Je referme le chassis et continue l'exposition à la lumière du jour...

Au bout de 20 minutes d'exposition, je considère que ma photo est suffisament bonne...
Précision : Il faut garder à l'esprit que ces procedés anciens demandent souvent une legère surexposition car l'opération suivante de fixage va faire baisser la densité générale de l'image.
Dans mon cas, j'ai volontairement choisi de ne pas trop surexposer de façon à donner cet aspect délavé du portrait très ancien. A la sortie du chassis l'image présente une netteté superieure évidente sur le papier salé.
Afin d'assurer maintenant une stabilité de l'image à la lumière et dans le temps, il faut éliminer les sels non réduits contenus dans les clairs de la couche d'albumine ainsi que l'excès de nitrate d'argent. Pour celà je dépose simplement la photographie côté image sur de l'eau froide...

Après 30 secondes de flottaison, je soulève la feuille. On peut distinguer un nuage laiteux dans l'eau de lavage. Ceci est l'excès de nitrate d'argent qui s'élimine du papier en une précipitation dûe à la présence de minéraux et différents chlorures contenus dans l'eau du robinet. Je renouvelle l'eau de lavage pendant 15 minutes, par immersion totale de la feuille. La tonalité de l'image va basculer vers un brun rougeâtre. Il ne faut pas s'en inquieter.
Lorsque ce premier lavage est terminé, il nous faut éliminer le chlorure d'Argent résiduel, resté dans la couche d'albumine. Pour celà, il nous faut utiliser un bain de fixage à base d'hyposulfite de soude à raison de 150 grammes par litre d'eau. J'immerge la photographie dans ce bain durant 10 minutes en agitant de temps en temps. La tonalité va encore évoluer, vers un rouge plus froids cette fois. Le premier lavage avant le fixage doit être fait soigneusement. Si le papier albuminé recèlle encore du nitrate d'argent, il va prendre une coloration dans les lumières, tout à fait désagréable dans le bain de fixage. Et ceci est irrémediable.

Lorsque le fixage est terminé, je passe au lavage de l'épreuve. Cette étape doit également être faite soigneusement car d'elle dépend la tenue du tirage dans le temps. De nombreux renouvellement d'eau sont donc indispensables pour éliminer toute trace d'hyposulfite dans les fibres du papier.
Le lavage terminé, il ne reste plus qu'à secher la photographie... La tonalité va changer de façon importante au séchage pour retrouver un aspect proche de celui qu'elle avait à la sortie du chassis-presse en un peu plus froid. La couche d'albumine fait ressortir le grain du papier utilisé.

Il est possible d'effectuer un virage au chlorure d'Or pour changer encore la tonalité de l'image en rose, rouge, bleu, etc. suivant la composition du bain.

C'est terminé, j'éspère ne pas avoir laissé de zones d'ombre sur le procedé.