Marc Kereun

- Daguerreotypiste Contemporain -

Depuis mes débuts dans la pratique des procedés anciens de Photographie il y a une dizaine d'années, le Daguerreotype est celui qui m'est resté le plus mysterieux, le plus fascinant. Pourquoi ?
Remontons un peu le cours du temps afin de revoir dans ses grandes lignes, ce qu'est la Daguerreotypie.

Il s'agit du premier procedé pratique et commercial de la Photographie, cet art de donner à la nature, les outils necessaires à la projection de sa propre image dans la matière.
Dans la seconde moitié des années 1830, Louis Daguerre, peintre Parisien va, inspiré des travaux de Niepce, offrir au monde une science nouvelle où la chimie va se mettre au service de l'esprit, de l'émotion Humaine.

Tous ceux qui ont pu s'interesser à un moment à la Daguerreotypie, gardent à l'esprit son élaboration :
Sur un plaque de cuivre plaquée d'Argent poli et sensibilisé aux vapeurs d'Iode, l'image de la nature projetée par une lentille, sera rendue visible par des vapeurs mercurielles et fixée pour devenir permanente.

Cette définition peut sembler démontrer une mise en oeuvre simple. Rien n'est plus vrai, rien n'est plus faux !
Plus vrai car ce sont précisément et purement les étapes de la Daguerreotypie. Plus faux car ces étapes dépassent les mots et ne prennent leur sens que par les gestes du Daguerreotypiste qui ressent la matière et entame un dialogue avec elle et les éléments...

Ces gestes, à l'époque, étaient transmis de maître à élève. Ceux qui se lançaient seuls, abandonnaient le plus souvent après quelques tentatives plus ou moins concluantes, en laissant derrière eux une plaque ou deux, de vues des toits Parisiens, gris et vides.
Aujourd'hui, peu de Daguerreotypistes existent de par le monde. La majorité officie aux Etats-Unis, souvent assistés de lourds instruments de mesure éléctronique.
En France, pays de naissance du Daguerreotype, ses pratiquants héritiers de la science de Daguerre, se comptent sur les doigts d'une seule main.

J'ai découvert il y'a une bonne année, l'éxistence de l'un d'eux, sans doute le plus immergé dans le procedé, Marc Kereun.
En octobre 2006, celà faisait déjà quelques mois que je tentais de produire des images Daguerriennes, qui restaient à peine perceptibles. Par le biais de recherches sur le net, je réussis à trouver l'adresse mail de Marc. Avec peu d'éspoir de recevoir une réponse, je décidai de lui demander quelques précisions sur la Daguerreotypie. Quelques jours plus tard, c'est avec bonheur que je pu lire un message éléctronique dans lequel était écrit qu'il serait présent lors d'une conférence sur l'Histoire de la Photographie, qui se déroulait à quelques kilomètres de mon domicile et qu'il répondrait à mes questions si je m'y rendais. Conférence pour laquelle j'avais moi-même reçu une invitation dans le cours du mois précédent !
Par une coincidence providentielle, c'est amusant de se dire qu'aujourd'hui, en 2007, un des seuls Daguerreotypistes de France réside à seulement quelques minutes de route de chez moi et que c'est justement dans un lieu remplis de trésors photographiques que j'allais le retrouver !
C'est donc en novembre 2006 que j'ai rencontré Marc Kereun pour la première fois. Dans ses mains, une écharpe foncée s'est depliée et c'est à mes yeux que s'est offerte une plaque Daguerrienne encadrée, aux reflets argentés somptueux, aux blancs chauds et intenses, d'une finesse extrême, une nature morte sur le thème de l'Automne. Ce soir là, j'ai posé beaucoup de questions auxquelles j'ai reçu tout autant de réponses dans lesquelles j'ai sentis qu'il me faudrait enormément travailler pour arriver à un tel niveau.
Plein d'espoirs, les mois qui ont suivis ont été rythmés de multiples essais, entrecoupés de mails envoyés à Marc pour avoir des précisions sur les observations que je pouvais faire sur mes résultats.
Toujours disponible, il m'a orienté dans la bonne direction.

La Daguerreotypie, c'est comme revenir au monde et devoir réapprendre à marcher. Tenir sur ses deux jambes, ressentir le terrain, avoir la force de franchir les obstacles et toujours se relever après de multiples chutes.

Finalement, après une longue année de travail, Marc décide de me lancer une invitation à venir assister chez lui à une séance de Daguerreotypie pour m'offrir les dernières clées du procedé.
Rendez-vous pris pour le lendemain à midi à son domicile, dans la campagne Vosgienne.

Voici donc quelques images prisent à l'occasion de cette nouvelle rencontre. Il ne s'agit pas ici de détailler un "pas à pas" du procedé, mais de présenter un Daguerreotypiste du XXIème siècle qui travaille exactement comme au temps de Daguerre, c'est à dire dans le ressenti.

Après un bon repas sous le soleil de septembre où la discussion s'est évidement articulée autour de la Daguerreotypie, Marc décide de se mettre au travail.



Mise en place du décor. Ce jour là, un leger voile nuageux vient adoucir la lumière crue du soleil. C'est une chance.





Une fois les tentures mises en place, le travail de composition des objets qui vont constituer une nature morte, commence.





Souvent, Marc met en scène des objets authentiques, qui trouvent un lien entre eux, sur un thème bien défini.





Lorsque l'on voit le contraste engendré par les objets sombres et la clarté du tableau aux teintes bleues fortement actiniques, on peut imaginer toute la difficulté que sera la maîtrise du procedé afin d'éviter une solarisation des blancs tout en donnant suffisament d'exposition pour donner du détail dans les ombres. La solarisation est un assombrissement des blancs trop puissants sur la plaque Daguerriènne. Une sorte d'inversion partielle dans les hautes lumières, qui prend une teinte bleutée peu flateuse. Cette solarisation est l'une des limites à ne pas atteindre.





Marc vérifie le cadre et la composition. Divers objets s'ajoutent et trouvent leur place.





La composition est ici achevée.





La chambre de prise de vue est maintenant mise en place. Il s'agit d'une chambre Linhof de format 4x5 inch maxi.





Marc passe sous le voile afin d'operer le cadrage et la mise au point. J'attire votre attention sur le chronomètre qu'il porte autour du cou. Il s'agit du seul instrument de mesure qu'il utilise dans la pratique de ce procedé.





Pendant que Marc ajuste les objets de la composition, je passe à mon tour sous le voile pour apprecier le cadre.





Découvrons à présent le laboratoire. Dans un coin du garage, nous nous trouvons finalement assez éloignés de ce que peut être un labo photo argentique d'aujourd'hui. Point d'agrandisseur, d'éclairage de sureté, ni de papiers sensibles et de multiples cuvettes. Seulement deux caisses en bois verni se trouvent sur le plan de travail. L'une pour la sensibilisation à l'Iode et au Brome, l'autre pour la révélation aux vapeurs mercurielles.





Marc s'empare, sur la petite étagère en face de lui, de petites enveloppes de papier dans lesquelles sont protegées les plaques argentées, parfois déjà porteuses d'une image.





L'étape du polissage est capitale. La couche de métal précieux doit être parfaitement décapée, polie et propre. La pression du bras sur l'Argent doit être régulière et mesurée. En ce sens, aucune économie ne doit être faite sur le coton et le papier absorbant !





Le poli est ici parfait. Aucune souillure ni rayure ne doivent subsister. De même cet Argent mis à nu doit être protegé de quelconques vapeurs nocives qui peuvent entrainer l'echec.





La plaque Argentée, d'une brillance extrême, est prête à recevoir la sensibilisation par les vapeurs d'Iode. La boîte à mercure, à gauche, peut recevoir tous les formats, jusqu'à la pleine plaque 18x24cm.





Sans attendre, la plaque est disposée dans la boîte à Iode, directement en contact avec les vapeurs Iodées. Le Chrono est enclenché, mais il demeure une base de temps pour la durée de la sensibilisation qui sera ensuite ajustée par l'observation de la couleur que va prendre la plaque. Daguerre parle d'un beau jaune paille.
Cette durée peut considérablement varier en fonction de la quantité d'Iode disposée dans la boîte, et de la température ambiante. En effet, ces vapeurs Iodées vont constituer avec le métal précieux, un Iodure d'Argent qui va devenir sensible à la lumière. La boîte à sensibiliser les plaques est divisée en deux partie. A gauche pour la sensibilisation de base, et à droite pour la sensibilisation au Brome qui va permettre des temps de pose pouvant atteindre la seconde.





Pendant la sensibilisation qui demande quelques minutes, Marc sort d'une étagère, une ancienne boîte qui était certainement destinée à recevoir des plaques au collodion, de par les taches noires présentes dans le bois. Celle-ci abrite à présent des plaques Daguerrienne...





Ici, un portrait d'Arago, qui en 1839, annonça au monde la naissance officielle de la Photographie, par le Daguerreotype.





Une pleine plaque. En la contemplant, Marc me dit : "Les images ne changent pas, mais mon reflet, lui, change..."
C'est précisement à cet instant que j'ai compris la particularité émotionnelle du Daguerreotype. Le spectateur, avant de trouver l'image, trouve son reflet et enfin, le mêle à l'image pour ne voir plus qu'elle au final. Il s'opère en l'esprit, une transition du présent vers le passé, de la couleur au monochrome, du "Moi" vers "l'Univers". C'est une sensation unique qui nous met en face de notre état d'être vivant et conscient, qui nous redonne notre place en ce monde.





Retour en plein air. Le chassis, chargé de la plaque sensible, est mis en place dans la chambre.





Marc, après avoir jeté un coup d'oeil à l'état du ciel et à la composition, éstime le temps de pose à trois minutes et trente secondes. L'occasion pour moi de poser encore quelques questions sur ce que j'ai pu observer jusque là, pendant que le Dieu Soleil poursuit son oeuvre.





Après l'exposition, la plaque impressionnée est placée dans la boîte à mercure. A la douce chaleur d'une flamme, les vapeurs viennent se condenser là où la lumière a frappé, avec toutes ses nuances. Ici encore, la température du mercure n'est pas mesurée. Marc sait exactement quelle hauteur donner à la flamme pour que l'opération soit menée au mieux. On retrouve en Daguerreotypie, les manipulations des vieux alchimistes. Ces magiciens, par les métaux et un certain mystère insufflé dans leur emploi, cherchaient à creer la "Pierre Philosophale". Cette substance capable de produire de l'Or à partir de métaux pauvres, de donner la vie eternelle. Le Daguerreotype, lui, capture l'image du monde et la projète dans la matière. C'est l'un des fruits de cette Pierre Philosophale tant recherchée.





Après quelques minutes sous l'action des vapeurs mercurielles, la plaque est immergée dans l'Hyposulfite de soude. L'image devient à cet instant permanente. Elle entre dans l'Histoire du monde. Notez la perfection de l'image. Les blancs du tableau ne présentent aucune solarisation. Les ombres sont parfaitement détaillées !





Marc prépare à présent une solution de Chlorure d'Or jaune afin de dorer la plaque. La dorure à plusieurs buts. Dabord, elle va protèger la plaque des agressions mécaniques possibles. La couche image, extrêmement fragile à l'origine, va devenir très résistante par la dorure à l'Or. Ensuite, cette étape permet de réchauffer et intensifier les blancs tout en assombrissant les noirs. Le contraste va s'en trouver augmenté, ce qui va faciliter la visualisation de l'image Daguerrienne.





La dorure est une opération très délicate également car l'image va passer par une destruction apparente, puis renaître plus belle que jamais. Une dorure bien conduite est difficile à obtenir car la période de destruction apparente de l'image peut entrainer beaucoup d'ennuis irrécupérables. Sur l'image ci-dessus, on voit au centre, l'image renaître, chaude et intense alors que les bords sont encore dans le tourment, ternes et sombres. c'est un moment angoissant et magique ! A cette étape, toute les opérations précédentes durement menées avec succès jusque là, peuvent être anéanties en une minute !!





Un rinçage abondant et à température, permet l'élimination des sels parasites qui pourraient être néfastes à la tenue de l'image dans le temps.





L'image Daguerrienne, ici encore humide, va prendre de l'intensité et du contraste au séchage. Souvenez vous des teintes et des contrastes violents de la composition initiale. Au final, une vaste plage de gris se présentent à nos yeux. Même le rouge du velour est rendu... Impossible de rendre sur un écran d'ordinateur, la brillance, la finesse et la profondeur de cette plaque. C'est un bijou...





Un séchage à l'air ambiant va donner son intensité finale à l'image... Ici, la plaque parait négative.





A travers l'image imprimée dans l'Argent, métal adoré des alchimistes oubliés, le regard de Marc renvoit à une pensée évidente. Il y a plus de 160 ans, Daguerre posait ce même regard sur ces dessins parfaits, engendrés par la nature elle-même. Dans l'Univers, gravitent des formules magiques, invisibles, impalpables. Parfois, l'une d'entre-elles parvient à l'oreille Humaine. Si il sait l'entendre, alors l'Homme devient capable de grandes choses...

Je remercie encore Marc, par qui l'Histoire se prolonge et son épouse Sophie, pour leur accueil et leur gentillesse.